Ed. Galilée 2006 74 pages. Publié ensuite en Folio en janvier 2009.
" Tu vas avoir quatre-vingt-deux ans. Tu as rapetissé de six centimètres, tu ne pèses que quarante-cinq kilos et tu es toujours belle, gracieuse et désirable »
Voici les premiers mots de ce texte très court qu’André Gorz écrit à sa femme Dorine.
André Gorz, philosophe, écrivain engagé, se décide à l’écriture de cette lettre pour redonner une image de sa femme plus juste, plus proche de la réalité. Dans son œuvre il en a fait un personnage effacé, sans amis, et il n’a jamais reconnu publiquement l’importance et l’influence de D. dans sa vie et ses écrits.
Au soir de leur vie commune il souhaite lui rendre justice.
La lettre s’ouvre sur une magnifique première page, une déclaration d’amour. Elle se referme sur un texte tout aussi intense. Ces deux moments sont des merveilles d’écriture et d’émotion.
Pourtant, car il y a un pourtant, le reste du livre m’a beaucoup moins convaincu. Pourquoi, alors qu’il souhaite rendre un hommage à sa femme, revient-il sur son parcours, ses questionnements, ses doutes ? Il retrouve vite ses propres démons et en oublie son propos. J’ai trouvé cela dommage, j’aurai aimé rester dans l’émotion des premiers mots. Il est vrai que ces lignes ne devaient pas être publiées, il n’a pas écrit pour « des lecteurs » mais pour « une lectrice ».
Quelqu’un m’a dit à propos de « Lettre à D. », que pour ces quelques pages intenses, le livre méritait d’être lu, c’est sans doute vrai.
Cette note a été rédigée en 2006 à la sortie du livre. Le 22 septembre 2007, à 84 ans, André Gortz choisit de mettre fin à ses jours avec sa femme Dorine gravement malade. Voici les dernière lignes de la Lettre à D :
« […] Tu vas avoir quatre-vingt-deux ans. Tu as rapetissé de six centimètres, tu ne pèses que quarante-cinq kilos et tu es toujours belle, gracieuse et désirable. Cela fait cinquante-huit ans que nous vivons ensemble et je t'aime plus que jamais. Récemment, je suis retombé amoureux de toi une nouvelle fois et je porte de nouveau en moi un vide débordant que ne comble que ton corps serré contre le mien […] Nous aimerions chacun ne pas survivre à la mort de l'autre. Nous nous sommes souvent dit que si, par impossible nous avions une seconde vie, nous voudrions la vivre ensemble. »